Pour chanter l’hiver, les Temps Dérobés ont choisi d’associer le temps de Noël dans la liturgie à celui de la neige dans la poésie. Chants sacrés et profanes, tous sont un appel à la suspension pour un instant – celui d’une naissance comme celui de la chute d’un flocon.
C’est avec un Hymne à la Vierge que débute cet instant : A Hymn to the Virgin, composé par Benjamin Britten – alors âgé de 17 ans. Le texte de l’hymne, originaire du XIIIe siècle, illustre d’emblée la dualité entre sacré et profane par son usage d’une langue macaronique, c’est-à-dire d’un mélange de langue maternelle (ici l’anglais) et de ponctuations latines. Deux chœurs, éloignés l’un de l’autre, portent l’hymne hybride, et unissent par leur phrasé les deux langues dans une même expression poétique. Une fois le chœur réuni, c’est le « temps du mariage et des mariés » : les mots suédois du poète Verner von Heidenstam évoquent le scintillement des étoiles, Stjärntändningen, et leur mise en musique par Oskar Lindberg, aux harmonies lumineuses et frissonnantes, transforme ces étoiles en flocons et répand leur éclat sur la terre glacée.
La neige est tombée. Douce et sourde, elle invite au silence et met un étouffoir au bruit de nos pas. Le chant qui suit est donc sans paroles, tiré d’un des très impressionnistes Préludes pour piano de Claude Debussy : …Des pas sur la neige. La transmutation des cordes du piano aux modulations de la voix invitent à la retenue, mais aussi aux inflexions souples du souffle pour chanter la nature hivernale telle que perçue par Debussy (qui ne titrait ses Préludes qu’à la fin de la partition…). C’est dans cette atmosphère en sourdine qu’apparaît l’intonation grégorienne du Videte miraculum de Thomas Tallis à six voix seules, louant le « miracle » de la naissance, à travers la figure de la mère. On retrouve cette figure féminine protectrice dans la Madone de miséricorde mise en musique par Thierry Machuel et extraite du cycle La parure éphémère ; les poèmes de ce cycle viennent du recueil Début et fin de neige d’Yves Bonnefoy… Hymne à la Vierge et contemplation des neiges hivernales se rencontrent dans cette pièce charnière du programme. C’est dans ce tableau gelé, parmi « les êtres et les choses » abrités tout contre la Madone, qu’un nouvel instant miraculeux survient : une rose a éclos – Det är en Ros utsprungen en suédois. Traditionnellement symbolique de la Nativité, cet instant a été mis en musique au XVIe siècle dans un choral de Michael Praetorius ; ici, le choral se distingue comme givré, au travers d’un brouillard harmonique (le « manteau léger » de la Madone… ?).
Avec Un soir de neige, les poèmes de Paul Eluard et la musique de Francis Poulenc, jaillit du paysage enneigé la figure humaine. L’hiver, le froid, la nuit… tous ces éléments sont pour la première fois subis et pointent la vulnérabilité des êtres humains. Et pour cause : cette petite cantate de chambre est composée à Noël en 1944, au lendemain de la Libération ; oppression et détresse sont encore bien présents dans les esprits, et entraînent un désarroi existentiel largement perceptible dans les harmonies de Poulenc. Néanmoins, il n’est pas question de soumission et la révolte gronde contre le « froid vivant » dans les mots virulemment engagés d’Eluard.
Pour un retour à la sérénité de ce voyage en hiver, l’abandon provisoire de la voix humaine est nécessaire. Les motifs ressassés et balancés du Nocturne de Lili Boulanger pour violon et piano rappellent alors la douce implacabilité des pas sur la neige de Debussy, et tout comme ceux-ci, s’évanouissent en sourdine… nous laissant refermer la parenthèse de cet instant par deux motets de Pierre Villette, O Magnum Mysterium et Hymne à la Vierge. La polyphonie simple et cristalline de ces deux pièces offre le reflet idéal à la pureté de l’hymne de Britten qui ouvrait la parenthèse.
Début et fin de neige, deux hymnes se regardant, vierges statuées par la glace, neiges éternelles ou passagères…
• A Hymn to the Virgin, Benjamin Britten (1913-1976)
• Stjärntändningen, Oskar Lindberg (1887-1955)
• …Des pas dans la neige (arrangement our choeur mixte), Claude Debussy (1862-1918)
• Videte miraculum, Thomas Tallis (ca. 1505-1585)
• Madone de miséricorde, Thierry Machuel (1964-)
• Det är en Ros utsprungen, Michael Praetorius (ca. 1571-1621) / Jan Sandström (1954-)
• Un soir de neige, Francis Poulenc (1899-1963)
• Nocturne, Lili Boulanger (1893-1918)
• O Magnum Mysterium, Pierre Villette (1926-1998)
• Hymne à la Vierge, P. Villette
Effectif : 16 (grande forme) ou 9 (petite forme) chanteuses & chanteurs
Direction musicale : Félix Benati
20 lampes de pupitre
Durée du programme : 45 minutes
Concert spatialisé